3

Leur course folle avait repris. Effrayés, épuisés, ils n’avaient qu’un désir : se réveiller, voir le soleil filtrer à travers les rideaux entrouverts, sortir du cauchemar. Ils couraient, couraient. Autour d’eux les incendies faisaient rage, les morts gisaient de tous côtés, les blessés se tordaient de douleur. Le cauchemar refusait de prendre fin.

Les marches qui descendaient au métro croulaient sous les décombres. Les rampes de métal étaient couvertes de sang. A l’intérieur, il y avait moins de monde que ne l’avait supposé Culver ; les gens étaient sans doute descendus plus bas, loin des billetteries, pour s’enfoncer dans les tunnels. Le plus loin possible d’un univers en folie. Mais il y avait encore foule dans le hall plongé dans l’obscurité, près des guichets, des machines et des rares boutiques.

— Il se peut qu’on ait besoin de lumière, dit Dealey, non sans ironie.

Si seulement ses yeux ne le faisaient pas tant souffrir ! Si la douleur cuisante s’en allait ne serait-ce que quelques instants. Il se força à se concentrer.

— Il faut que l’on parvienne au tunnel qui mène vers la banlieue est.

— Nous aurions dû commencer par là, dit Culver, jetant un regard rapide autour de lui.

D’autres silhouettes se profilaient dans la station de métro.

— Non, ce n’est qu’en cas d’extrême urgence qu’il faut utiliser cet accès.

— Seulement en cas d’urgence, répéta Dealey en secouant la tête. Je me doutais que la station, ou du moins les tunnels, seraient bondés. C’aurait été trop dangereux. Maintenant nous n’avons plus le choix.

— Essayez-vous de me faire comprendre que... cet abri... n’est réservé qu’à certains ?

— C’est un abri gouvernemental. Il n’y a pas de place pour le public.

— Ça semble logique.

— Le gouvernement doit avoir le sens pratique. Nous aussi d’ailleurs.

Sa voix était tendue, comme s’il luttait pour garder son sang-froid.

— Je vais vous offrir une chance de vous en sortir. A vous de la saisir.

— Je vous suis indispensable.

— Peut-être que non. Tout dépend de vous.

— En cas d’extrême urgence ? Vous plaisantez, sans doute.

Durant quelques instants de cécité totale, Dealey crut que l’autre homme s’était éloigné. Il poussa un soupir de soulagement en entendant sa voix.

— Il ne va sans doute pas nous rester grand-chose pour survivre, mais enfin nous trouverons au moins un abri. J’aimerais tout de même savoir comment vous connaissez cet endroit. Je suppose que vous travaillez pour le gouvernement.

— Oui, mais cela n’a pas grande importance pour l’instant. Il faut absolument que l’on gagne les tunnels.

— Il y a des portes de l’autre côté du hall. Je les distingue à peine dans l’obscurité. L’une d’elles doit être celle du bureau du chef de station, aussi devrait-on y trouver une torche ou une lampe.

— Il n’y a pas de lumière ?

— Non, simplement celle du jour ; si l’on peut dire.

— Les lumières de secours devraient marcher dans les tunnels, mais une torche pourrait s’avérer utile.

— Exact.

Dealey sentit une main posée sur son bras et se laissa guider à travers le hall. Les gémissements des blessés s’étaient atténués pour laisser place à un concert de plaintes. Une main s’accrocha à son pantalon et une voix demanda de l’aide. Il sentit son guide marquer un temps d’hésitation et il le tira vers lui.

— Vous ne m’avez toujours pas dit votre nom, dit-il pour faire diversion, sans s’arrêter et en l’obligeant à continuer.

— Culver.

— Concentrons-nous sur un problème à la fois, monsieur Culver. D’abord il nous faut trouver une torche, ensuite nous diriger vers les tunnels, puis nous mettre en sécurité dans l’abri. Rien ne doit détourner notre attention si nous voulons survivre.

Culver savait que l’aveugle avait raison mais il était difficile de faire fi de ses propres doutes. Valait-il seulement la peine de survivre ? Que restait-il vraiment là-haut ? La plus grande partie de l’hémisphère nord avait-elle été détruite ou bien les grandes villes et les bases militaires stratégiques avaient-elles été les seules frappées ? Impossible de savoir pour l’instant, aussi chassa-t-il ces pensées de son esprit, tout comme il refoulait ses sentiments. Tant que le choc n’affectait que son esprit et non ses gestes, il avait une chance de s’en sortir. Pour l’instant, l’essentiel était de trouver une torche.

Le sol subit une brève secousse et des cris s’élevèrent une fois de plus.

Les deux hommes s’immobilisèrent.

— Une autre bombe ? demanda Culver.

— J’en doute, répliqua Dealey en secouant la tête. Une explosion, pas très loin d’ici, je crois. Sans doute une conduite de gaz qui a éclaté.

Ils parvinrent à la première porte et Culver actionna la poignée. Fermée.

— Merde !

Il prit son élan et donna un coup de pied vigoureux. Au troisième, elle céda.

Culver entra, suivi de près par Dealey, la main posée sur l’épaule de son guide. Une voix s’éleva dans l’obscurité.

— Que voulez-vous ? C’est la propriété des Transports londoniens. Vous n’êtes pas autorisés à y pénétrer.

— Doucement, fit Culver, peu surpris devant ces propos incongrus. Nous voulons simplement une torche.

Il essayait de rassurer l’homme qui était accroupi derrière une chaise dans un coin de la minuscule pièce.

— Je ne peux vous laisser... (Il s’interrompit.) Que s’est-il passé dehors ? Est-ce que tout est fini ?

— Le mal est fait, mais ce n’est pas terminé. Y a-t-il une torche ici ?

— Il y en a une sur l’étagère, à droite, près de la porte.

Culver la vit et alla la chercher.

L’homme accroupi mit la main devant ses yeux pour les protéger quand Culver l’alluma et dirigea le faisceau lumineux dans sa direction.

— Je vous conseille d’aller dans les tunnels. Vous y serez plus en sécurité, fit Dealey.

— Je suis très bien où je suis. Je ne vois pas pourquoi je partirais.

— Très bien. Faites ce qui vous plaira. Êtes-vous le chef de station ?

— M. Franklin est mort en essayant de maîtriser la foule. C’était la panique. Il a essayé de les retenir, de leur faire faire la queue. Pour le remercier, ils l’ont piétiné. Aucun d’entre nous n’a pu lui venir en aide. Ils étaient si nombreux !

— Calmez-vous. La foule s’est dispersée, la plupart d’entre eux se sont abrités dans les tunnels. Et l’attaque nucléaire est terminée.

— L’attaque ? Alors, c’est vraiment arrivé ? Ils l’ont déclenchée ? Ils ont lancé la Bombe ?

— Plusieurs, je crois.

Culver préféra ne pas faire allusion aux cinq colonnes de fumée séparées qu’il avait aperçues. Il en parlerait plus tard à Dealey lorsqu’ils se retrouveraient seuls.

— Alors, nous sommes tous fichus.

— Non, pas si tout le monde reste à l’abri. Les radiations seront vraiment nocives durant deux à quatre semaines encore, mais d’ici là les autorités devraient avoir repris les choses en main.

Culver faillit éclater de rire, mais cela exigeait un trop gros effort.

— Sortons d’ici, suggéra-t-il.

— Je ne peux que répéter : vous serez plus en sécurité dans les tunnels, dit Dealey à l’homme accroupi, mais ce dernier ne répondit pas.

Culver détourna le faisceau lumineux puis éteignit la torche. Elle serait utile : le caoutchouc du boitier était solide et le réflecteur de la lampe était plus large que la normale.

— Nous perdons du temps, dit-il calmement.

Dealey ne révéla rien de son étonnement devant la détermination soudaine de son guide.

— Vous avez parfaitement raison. Dépêchons-nous.

Ils se dirigèrent vers les tourniquets du côté des escaliers mécaniques. Ils étaient au nombre de trois mais aucun ne fonctionnait. Culver remarqua que la foule avait grossi devant les guichets et la plupart des gens désorientés, les yeux hagards, avaient des mouvements incertains. Il rapporta à Dealey ce qu’il voyait.

— Peut-on faire quelque chose pour eux ? murmura-t-il sèchement.

— J’ai bien peur que non. Je souhaite seulement que nous puissions nous en tirer.

Se concentrer. Les escaliers. Se frayer un chemin jusque-là. Ne prêter aucune attention à la vieille dame, assise par terre, balançant sa tête ensanglantée. Oublier le gosse accroché à sa mère, la suppliant en hurlant de lui ôter les morceaux de verre incrustés dans ses mains. Ne pas regarder celui qui, appuyé au mur, vomissait du sang noir. En aider un signifiait en aider un autre. En aider un, c’était les aider tous. Les aider tous, cela signifiait la mort. Il ne fallait penser qu’à soi et à cet Alex Dealey qui semblait en savoir tant.

Ils furent très vite en haut de l’escalator central. Des corps s’amassaient partout, certains étaient assis, d’autres allongés ou bien simplement affalés contre les rampes. Il ne distinguait que de faibles lumières de secours au-dessous.

— Il faut faire attention en descendant, dit-il. Les escaliers sont bondés et ça va être dur de passer. Tenez-moi bien et restez tout près de moi, dit-il à Dealey en relâchant le bras de l’aveugle et en le passant autour du sien, avant de prendre la direction des escaliers.

Des hommes et des femmes les observaient sans faire la moindre objection. Certains même tentèrent de s’écarter quand ils comprirent que Dealey était aveugle. Ils avançaient lentement. Culver faisait son possible pour ne pas trébucher, permettant à son compagnon de prendre appui sur lui, bénéficiant ainsi de sa force. Un faux pas et la dégringolade serait fatale.

Ils étaient à mi-chemin quand un flot humain, fuyant les quais, arriva à contre-courant.

Ils s’accrochaient à ceux qui se trouvaient sur les escalators pour tenter d’emprunter l’escalier, en criant, en proférant des paroles incompréhensibles. Le regain de panique fut contagieux : la foule qui se trouvait dans les escaliers essaya de remonter, n’hésitant pas à assener des coups de poing à ceux qui leur bloquaient la route et à piétiner les blessés qui gisaient au sol.

— Et maintenant ? demanda Dealey, se sentant frustré tandis qu’ils étaient repoussés par ceux qui étaient en bas. Que se passe-t-il, Culver ?

— Je ne sais pas, mais ce n’est peut-être pas une si bonne idée après tout.

— Il faut que nous parvenions au tunnel, vous m’entendez ? Surtout ne remontez pas.

— D’accord ; alors essayez de le leur faire comprendre !

Un coup de poing l’atteignit en pleine poitrine tandis qu’un homme tentait de passer. Il chancela mais renonça au désir de se venger. Il préféra lui crier :

— On ne peut que descendre et cela risque d’être dangereux pour vous !

— Ça ne peut pas être plus dangereux que ce qui se trouve derrière nous ! Culver poussa Dealey contre la rampe de caoutchouc, lui hissa les jambes sur la section centrale, et, sans lâcher la torche, il en fit de même, tenant la rampe d’une main, le bras passé autour de celui de Dealey.

— Contrôlez votre glissade avec les pieds ; de mon côté, je vais essayer de suivre la rampe.

La descente commença mais il leur fut impossible de maintenir une vitesse régulière. Culver avait du mal à ne pas lâcher Dealey ; son autre main glissa de la rampe et ils tombèrent ; ceux qui montaient reçurent leurs pieds en plein visage ; ils se trouvèrent dans des positions parfaitement incongrues, incapables de contrôler leur course. Ce fut une descente désordonnée vers la peur de l’inconnu, une ruée effrayante vers un danger nouveau.

Leur chute fut amortie par des individus terrorisés qui se massaient au bas des escalators. A bout de souffle, ils atterrirent dans un enchevêtrement de bras et de jambes, sans rien heurter de dur qui pût les blesser. Culver n’était que légèrement étourdi ; il avait toujours la torche en main.

— Dealey, où diable êtes-vous ? hurla-t-il. (Il tira une main qui dépassait au milieu des corps sous lui mais la relâcha quand il s’aperçut que ce n’était pas celle de l’aveugle.) Dealey !

— Je suis là, aidez-moi.

Culver se servit de sa lampe pour repérer d’où venait la voix. Les lumières de secours étaient très limitées. Il trouva Dealey et le libéra.

— Tout va bien ?

— Je m’en préoccuperai plus tard. Notre unique problème est d’avancer. Nous devons trouver le tunnel qui mène à la banlieue est.

— C’est par là, fit Culver en pointant le faisceau dans cette direction comme si l’autre pouvait voir. Celui qui mène vers la banlieue ouest est au niveau inférieur.

Quelqu’un le heurta et il faillit lâcher la lampe. La cohue, au pied des escalators, empirait au point que les deux hommes résistèrent avec difficulté à la marée humaine. Culver aida l’un des hommes qui avaient amorti sa chute quelques instants plus tôt.

Il tira vers lui le visage de l’homme.

— Pourquoi cette fuite hors des tunnels ? C’est le seul endroit qui offre quelque sécurité !

L’homme essaya de se dégager, mais Culver tint bon.

— Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il dedans ?

— Je... je n’ai pas pu voir, mais d’autres les ont vus !

Ils avaient des entailles et ils saignaient. Ils ont dit qu’ils avaient été attaqués. Je vous en prie, laissez-moi partir !

— Attaqués par quoi ?

— Je ne sais pas, hurlait l’homme. Mais laissez-moi !

Il se dégagea et fut aussitôt englouti par la foule.

Culver se tourna vers Dealey.

— Vous avez entendu ? Il y a quelque chose d’autre dans le tunnel.

— De l’hystérie collective, c’est tout. C’est compréhensible, vu les circonstances. Tout le monde est encore en état de choc.

— Il a dit qu’ils saignaient.

— Je suppose que tous ont été plus ou moins blessés. Peut-être qu’ils ont marché sur un rat ou Dieu sait quoi, qui les a mordus en retour. Celui qui a été mordu a, de toute évidence, provoqué une panique générale.

Culver n’était pas convaincu, mais il n’avait nullement l’intention de remonter en surface, où l’air était maintenant chargé de particules radioactives.

— Il faudra bien qu’on passe.

— Je ferai ce que je pourrai pour vous aider.

— Très bien. Restez derrière moi et tenez bon. Je vais me frayer un chemin. Vous pouvez vous appuyer sur moi. Poussez, peu importe quoi.

Culver se protégea le visage de ses bras, la torche levée devant lui comme un bouclier supplémentaire et ainsi, avec Dealey, ils parvinrent à avancer dans la cohue, tels des nageurs à contre-courant. Le trajet était pénible. Les deux hommes furent en sueur avant même d’être sortis de la foule. Là, ils trouvèrent d’autres personnes qui ne s’étaient pas mêlées aux autres, des gens qui se méfiaient de ce qui se passait derrière, tout en prenant conscience du danger en haut. Et puis il y avait ceux qui ne pouvaient pas bouger : les blessés, les morts.

— Le quai est par-là, fit Culver en atteignant l’une des entrées.

Il jeta un coup d’œil vers les escaliers mécaniques ; derrière, s’entassaient des corps qui se traînaient ; les escaliers étaient envahis par une foule en délire. Un seul faux pas, se dit-il, et des centaines de gens seraient écrasés. Il se réjouissait de ne pas être parmi eux. Il remarqua soudain que d’autres affluaient du petit escalier qui venait du quai de la banlieue ouest ; ils se joignaient désespérément à la cohue, mêlant leurs cris à ceux des autres. Il était intrigué : pourquoi la panique s’était-elle emparée de la foule dans un tunnel totalement différent, celui qui se trouvait précisément au-dessous de celui qui menait à la banlieue est ?

— Nous ne pouvons pas nous arrêter là, Culver. Il faut poursuivre notre marche.

Dealey, totalement débraillé, appuyait lourdement son imposante carcasse contre le mur lisse carrelé de jaune. Culver chassa de son esprit une pensée troublante et conduisit son compagnon sur le quai. Il n’y avait aucun métro sur la voie.

— A votre avis, y a-t-il encore du courant sur les voies ? demanda Culver, inquiet.

— J’en doute. Ne m’avez-vous pas dit que seules les lumières auxiliaires étaient allumées ? J’ai l’impression que le bloc électrogène a été coupé. Y a-t-il un métro à la station ?

— Non.

— Alors les rames sont probablement arrêtées dans les tunnels ; les voies sont sans aucun doute inutilisables.

— C’est vous qui le dites. Pour ma part, je marcherai entre les rails.

— Emmenez-moi à l’entrée du tunnel. Vers la... euh... vers la gauche, l’est. Il nous faut retourner sur la voie.

— A vrai dire, je n’en suis pas si sûr. Les gens avaient l’air vraiment effrayés par ce qu’ils avaient vu.

— On est déjà passés par-là.

— Les gens sortaient en courant de l’autre quai également, celui qui est juste en contrebas. Comment l’expliquez-vous ?

— Inutile de trouver une explication. Nous n’avons pas le choix. Il faut trouver l’abri.

— Pourquoi ne pas rester ici ? Nous sommes à une profondeur suffisante pour être en sécurité.

— Pas nécessairement. Rien n’est fermé hermétiquement ; il y a des ouvertures, des orifices tout le long des tunnels par lesquels les radiations peuvent pénétrer.

— Êtes-vous toujours aussi pessimiste ?

— Je suis désolé mais je ne vois pas l’utilité de faire l’optimiste en de telles circonstances. Désormais, si nous survivons, nous devons envisager le pire.

— L’entrée de l’abri est-elle située loin à l’intérieur du tunnel ? demanda Culver le sourcil froncé, en jetant un coup d’œil vers la voûte sombre du tunnel.

— A huit ou neuf cents mètres. Ça ne nous prendra pas longtemps.

— Alors, allons-y.

L’entrée du quai n’était pas loin du tunnel et les deux hommes s’approchèrent du trou béant et obscur avec précaution. Culver s’avança au bord du quai et braqua sa torche dans le tunnel sombre.

— La voie semble libre, cria-t-il à Dealey en se retournant. S’il y avait eu quoi que ce soit, la foule l’aurait fait fuir.

— Espérons que vous avez raison.

Dealey s’était avancé à tâtons le long du mur et avait rattrapé Culver.

— Comment vont vos yeux ? lui demanda Culver.

— Ils me font horriblement souffrir, mais moins que tout à l’heure. La douleur s’atténue lentement.

Culver acquiesça et braqua la lampe sur son visage.

— Distinguez-vous quelque chose ?

— Non, répliqua Dealey en clignant légèrement des yeux. J’ai tout de même senti un léger picotement. M’avez vous mis la lumière dans les yeux ?

— Oui, directement. Les pupilles se sont rétrécies.

— Ça ne veut probablement rien dire.

— Ah, encore ce pessimisme. Accrochez-vous à mon épaule et appuyez-vous à gauche contre le mur. Nous allons descendre.

Une fraîcheur moite régnait dans le tunnel. Les lumières de secours se succédaient dans l’obscurité, faibles lueurs à peine perceptibles. Culver eut la sensation de descendre dans un vide, un néant lourd de menaces. Peut-être n’était-ce que le calme anormal après l’agitation ; ou bien percevait-il une présence invisible qui les observait dans l’ombre. Ou alors avait-il les nerfs à fleur de peau. Peut-être.

Le tunnel s’incurvait et la chaîne de lumière disparaissait. La faible lueur qui provenait du quai, derrière eux, disparut après le virage, les isolant complètement. Le bruit sourd de leurs pas résonnait sous les voûtes.

Culver remarqua des ouvertures dans le mur de gauche ; il braqua la lampe dans cette direction ; la lumière se réfléchissait sur d’autres rails.

— J’aperçois un autre tunnel, dit-il à Dealey.

Sa voix retentit, étrangement forte, au fond du conduit.

— Ce doit être la voie qui mène à la banlieue ouest. Maintenez la lumière à droite, je n’aimerais pas que l’on rate l’abri.

Dealey reposait de tout son poids contre lui et Culver se rendait compte qu’il était au bord de l’épuisement. Il avait dû souffrir le martyre à cause de ses yeux et à cela s’ajoutait l’appréhension d’une cécité permanente. Mais qui était-ce donc ? Comment avait-il connaissance de l’abri ? De toute évidence, il...

Une forme avait bougé un peu plus loin dans l’obscurité. Il l’avait entendue. Un bruit de fuite précipitée.

— Pourquoi vous êtes-vous arrêté ? lui demanda Dealey en lui pressant très fort le bras.

— Il m’a semblé entendre un bruit.

— Vous distinguez quelque chose ?

Il promena la torche en arc de cercle.

— Rien.

Ils accélérèrent le pas, malgré la fatigue, tous leurs sens en émoi ; un étrange pressentiment s’empara soudain d’eux. Culver cherchait désespérément l’entrée, la porte qui les sauverait. Le mur était truffé de recoins mais aucun ne comportait de porte magique. Pourtant ils ne devaient pas être loin. Ils avaient parcouru plus de huit cents mètres, bien qu’ils aient l’impression d’avoir fait plus de huit kilomètres. Il leur fallait la trouver au plus tôt. Avec l’aide de Dieu, c’était possible.

Il tomba. Un objet qui obstruait la voie l’avait fait trébucher.

— Culver ! hurla Dealey, soudain seul.

Il fit quelques pas chancelants, les bras tendus, en aveugle, les yeux grands ouverts. Il tomba lui aussi sur un objet qui obstruait la voie.

Ses mains palpèrent du métal, il les retira aussitôt. Ils étaient au moins sûrs d’une chose : il n’y avait plus de courant sur la voie. Il tâtonna dans l’obscurité. Toucha quelque chose. C’était doux. D’une douceur visqueuse. Une tête, un visage.

— Culver ? Tout va bien ?

La voix de son guide lui parvint de plus loin.

— Ne bougez pas, Dealey. Ne touchez plus rien.

Mais il était trop tard. Ses doigts hésitants avaient trouvé les yeux. Mais il n’y avait pas d’yeux : Simplement des cavités profondes et gluantes qui aspirèrent ses doigts au moment où il les retirait. Il tomba à la renverse et sa main se posa sur autre chose. C’était chaud, répugnant, glissant. C’était l’intérieur d’un corps, pas l’extérieur.

— Ne bougez pas ! cria Culver d’un ton péremptoire.

Dealey avait la gorge tellement serrée qu’il était incapable de parler.

Culver, étalé de tout son long sur le rail extérieur, balada la torche. Les tunnels étaient jonchés de corps. Des formes noires, grouillant au milieu des cadavres, s’en repaissaient.

Elles se tapirent, évitant la lumière. Ou détalèrent pour retourner dans la pénombre.

— Oh non, je n’arrive pas à le croire, fit Culver en gémissant.

— Dites-moi ce qu’il y a, Culver, je vous en prie.

— Tenez-vous tranquille. Ne bougez pas un instant.

Lentement, très lentement, il parvint à s’asseoir. La torche éclaira un dos courbé, hérissé de poils ; la créature se raidit et s’enfuit.

Il se leva légèrement, tenant la torche devant lui. Le faisceau éclaira un pied, une jambe, un torse, les yeux jaunes diaboliques de l’animal accroupi sur la poitrine béante de l’homme. La créature plongea son groin sanguinolent au fond de la blessure, déchiquetant la chair de ses énormes incisives.

Elle interrompit son festin. Regarda l’homme à la torche.

— Dealey. (Il gardait une voix calme sans toutefois pouvoir en contrôler les tremblements.) Avancez vers moi, lentement, lentement.

L’autre homme fit exactement ce qu’on lui demandait, l’effroi que trahissait la voix de Culver étant un avertissement explicite.

Culver s’approcha de lui avec précaution, toujours accroupi, évitant tout mouvement brusque : Il tira son compagnon jusqu’à lui, puis recula de manière à ce que tous deux fussent contre les parois du tunnel.

— Qu’est-ce que c’est ? murmura Dealey.

— Des rats, dit calmement Culver en respirant longuement. Mais je n’en ai jamais vu de semblables. Ils sont énormes, ajouta-t-il, étonné devant cet euphémisme.

— Ont-ils un pelage noir ?

— Tout est noir là-dedans.

— Mon Dieu, non, ça ne va pas recommencer. Pas dans un moment pareil.

Culver lui lança un regard intrigué, mais il ne distinguait pas son expression dans l’obscurité. Il ne voulait pas écarter la lampe des cadavres ou des formes qui se faufilaient au milieu. Il plissa les yeux.

— Attendez une minute. Il y a quelques années, il y a eu une invasion de rats noirs. Prétendez-vous qu’il s’agit du même type de bêtes voraces ? Pour l’amour de Dieu, on nous a dit qu’ils avaient été exterminés !

— Je ne les vois pas, aussi ne puis-je vous l’affirmer. Ce n’est pas vraiment le moment d’en discuter.

— Bon, je suis d’accord avec vous sur ce point. Mais que suggérez-vous ? Que nous les chassions ?

— Voyez-vous la porte de l’abri ? Nous ne devrions pas être loin.

A contrecœur, très lentement, Culver promena sa lampe sur la scène du carnage. Il tressaillit en apercevant un enchevêtrement de formes humaines déchiquetées et refoula un haut-le-cœur devant le spectacle des créatures qui mâchaient leurs victimes. Il ne s’était jamais rendu compte que le sang avait une odeur aussi forte.

Il fut glacé d’horreur en voyant un rat s’approcher d’eux furtivement, son corps au ras du sol, l’arrière-train courbé et tendu. Le faisceau de lumière se refléta dans ses yeux et la créature s’immobilisa. Elle détourna le regard de la lumière aveuglante et recula un peu, impassible, se glissant à nouveau dans l’obscurité, sans hâte.

— Avez-vous trouvé l’entrée ? fit Dealey, inquiet.

— Non, je me suis laissé distraire.

La lumière reprit sa marche lente, révélant un surcroit d’horreur qui, à chaque fois, le glaçait davantage ; la main qui tenait la torche, tremblait au point que toute la voûte semblait vibrer. Délibérément, il braqua le faisceau sur le mur où tous deux s’appuyaient. Dealey avait prétendu que l’entrée se trouvait sur la droite dans le tunnel qui menait vers la banlieue est. L’idée que l’obscurité masquait encore les créatures rassasiées le faisait frémir, seule la lumière les retenait, comme une sorte de barrière. Mais au fond de lui, il savait qu’il avait tort. Ils n’avaient pas été attaqués simplement parce que la vermine était rassasiée ; leur faim pouvait s’assouvir sans le moindre effort.

Si les rats sentaient une menace peser sur eux, le massacre recommencerait et, cette fois, Dealey et lui en seraient les victimes.

Oh ! Dieu, où se trouvait donc ce satané abri ?

Le faisceau qui oscillait lentement s’immobilisa. Qu’était-ce ?

Culver dirigea la lampe quelques mètres en arrière.

Il s’arrêta net sur une silhouette, debout, à l’intersection des deux tunnels.

Elle était parfaitement immobile, les yeux rivés sur une colonne en brique située en face de celle contre laquelle elle s’appuyait. Ses vêtements, d’une saleté repoussante, étaient en loques ; ses cheveux emmêlés ébouriffés. Son souffle était à peine perceptible, mais elle était vivante. Vivante et pétrifiée d’horreur.

— Dealey, fit Culver à voix basse, il y a une fille de l’autre côté de la voie. Elle est debout, paralysée par la peur.

Il se raidit en apercevant une forme noire, dans la trouée, aux pieds de la jeune fille. La bête, humant l’air, s’apprêtait à sauter le petit rebord qui la séparait de ses compagnons gloutons.

— Trouvez la porte, mon vieux, c’est plus important.

— Quel grand cœur ! fit Culver avec un sourire dénué d’humour.

— Si nous trouvons l’abri, nous serons peut-être alors en mesure de l’aider.

— Elle va s’effondrer d’un instant à l’autre, et sur eux. Elle n’aurait aucune chance de s’en tirer.

— On ne peut pas faire grand-chose.

— C’est possible, répondit Culver en se levant lentement, le dos contre la paroi de brique. Mais nous allons essayer.

— Culver !

Une main le saisit par la manche, mais il la repoussa. Il s’éloigna doucement du carnage, et revint sur ses pas.

— Ne bougez pas, Dealey, murmura-t-il. Ne vous inquiétez pas. Ils ne sont pas encore prêts pour le dessert. (Son humour noir ne l’amusa même pas.)

Quand il se sentit à une distance suffisante, bien que quelques centaines de mètres de plus eussent été préférables, Culver traversa la voie. Alors commença la marche prudente et réfléchie dans l’autre sens, la torche baissée pour ne pas déranger le festin impie. D’un pas léger, Culver se dirigea vers l’intersection et emprunta une voie adjacente, en priant le ciel pour qu’aucune créature ne l’attendît dans l’ombre. Moins effrayé, car la mare de sang était maintenant hors de vue, il avança plus rapidement.

La jeune fille cligna à peine des yeux quand il lui braqua la lampe en plein visage en s’approchant d’elle par l’autre côté de la voie. Il sauta le petit rebord et la dévisagea.

— Êtes-vous blessée ? lui demanda-t-il en élevant légèrement la voix parce qu’elle ne répondait pas : Vous m’entendez ? Êtes-vous blessée ?

Une vague lueur de vie se dessina dans son regard, mais elle ne semblait toujours pas se rendre compte de sa présence.

— Culver, chuchota Dealey de l’autre côté du tunnel, à sept ou huit mètres de la trouée où étaient Culver et la jeune fille. Je les entends approcher. Il faut que vous m’aidiez. Je vous en prie, trouvez cet abri.

Le ton de sa voix était désespéré, presque déchirant. Culver en comprenait la raison. Le bruit de la vermine se délectant était terrifiant et donnait des haut-le-cœur, et le craquement de petits pas cassants en accentuait l’horreur.

Impatienté par sa propre prudence, Culver promena aussitôt la lumière sur le mur opposé en commençant par le bout du tunnel. Il y avait plus d’une anfractuosité dans la paroi, mais aucune d’elles ne recelait de porte, et puis... la voilà ! Presque en face. Une putain de porte en fer ! Sans marque particulière, mais c’était elle sans nul doute !

— Dealey ! Je l’ai trouvée ! (Il lui était difficile de garder son calme.) Elle n’est pas loin de moi, à environ trente mètres de vous. Pouvez-vous y arriver seul ?

L’aveugle s’était déjà relevé. Il avança à tâtons le long du mur, le visage presque collé contre la paroi rugueuse. Culver se tourna vers la jeune fille.

Elle avait le visage sale, ensanglanté, bien qu’il ne pût distinguer d’entailles : Ses yeux restaient hébétés. Peut-être était-elle jolie, c’était difficile à dire ; sa chevelure jusqu’aux épaules devait être belle sous l’éclat du soleil, mais là encore, c’était impossible à dire et ce n’était pas vraiment sa préoccupation majeure. Quand Culver lui effleura l’épaule, elle se mit à hurler.

Elle le repoussa avec une telle force qu’il chancela et sa tête heurta la colonne derrière lui. Il ferma les yeux quelques instants ; quand il les rouvrit, elle n’était plus là. Il balança la torche et de nouveau l’aperçut. En tombant au milieu des corps à moitié dévorés, elle avait effrayé la vermine noire qui détala aussitôt. C’est là qu’il se rendit compte du nombre incalculable de créatures.

Des centaines ! Grand Dieu, davantage, bien davantage !

— Dealey, courez vers l’abri. Le plus vite possible !

La jeune fille essayait de se lever, s’efforçant d’échapper à la lumière aveuglante. Les rats s’étaient immobilisés, puis retournés et, maintenant, ils l’observaient sans la moindre peur.

L'empire des rats
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